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20060706

*** Mes souvenirs de L' OFFENSIVE DU TET 1968

Le jeu des chenilles.

Un de nos cousins nous a montré un jeu. Cela se joue à 2.
Cherchons 2 brindilles de 1 cm de diamètre, de 10 cm de longueur. Plantons les par terre. Ces 2 brindilles sont distantes de 20cm environ. Tendons un élastique entre elles. Cet élastique sert de chemin aérien, d’arène de combat sur lequel nous déposons nos 2 chenilles. Les 2 poteaux- brindilles servent de point de départ pour les 2 adversaires :
La chenille A posée contre le poteau- brindille du joueur A, et la B contre le poteau- brindille du joueur B.
Avec un gros caillou tapotons sur nos 2 poteaux respectifs. Cela fait vibrer l’élastique et avancer les chenilles. Elles avancent donc, avancent, continuent d’avancer… jusqu’à collision ! L’une d’elles est renversée par terre et celle restée sur l’élastique sera gagnante.

Ces "chenilles", nous les avons découvertes à Dalat, dans les hauts plateaux du centre Viêtnam. Ce sont en fait des épis velus de graminées qui ressemblent à des petites chenilles. Il s agit de l’orge sauvage.

Nous sommes donc en 1968, en vacances à Dalat. Petite ville maraîchère et d’altitude(1500m). Dépaysement assuré pour les petits citadins sud vietnamiens. Presque une ville d’un pays tempéré, avec sa gare, son Grand Hôtel Palace, et ses villas à la française. Presque…


Au Cercle Sportif :
« Quarante – 0, balle de match ! »: Partie de tennis entre adultes et grands enfants. Les petits regardent, écoutent les règles du jeu. Mais ils préfèrent le badminton, dont les raquettes sont plus légères.

(Le Cercle sportif dans les années 40?)


En attendant la fin du match des grands, éloignons-nous un instant des courts. Observons. Humons. Jouons autrement.
Des aiguilles de pin parfumées crissant sous les pieds. Des fleurs de pissenlit pour souffler dessus. Des lantanas colorés à enfiler pour décorer nos têtes. Temps frais et sec. Nature foisonnante. Les hautes ombellifères blanches s’immolent au soleil. Une petite tache claire en mouvement, doux battement d’ailes d’un papillon blanc indolent.

Là -bas, à travers la brume, le pic du Lang Biang, qui nous surveille de loin, aimerait fixer ce tableau et le temps…
De l’autre côté de la route, la Grenouillère blanche , presque comme sur les bords de Marne. Avec vue sur le lac du « Printemps Parfumé ».

- « Est-ce qu’on peut aller faire un tour de pédalo sur le lac et manger une glace ? »
Voici le marchand ambulant qui s’amène. Bruit sec des lames de ciseaux qui s’entrechoquent, gestes pour couper quelque chose.
- « Qui veut de la viande de bœuf séchée ? » réclame –t-il.

- « La salade de papaye aux herbes, à la sauce pimentée, c’est piquant mais délicieux ! »
- « J’ai vu ce matin des « Moï»(*) au marché, ils sont pieds -nus, avec de grandes boucles d’oreilles. J’aimerai visiter leur village, voir ce qu’ils mangent, et comment ils vivent. »
- « Moi, j’aimerai voir les chutes Gougah ou les chutes Prenn… »- « Et moi, escalader le pic du Lang-Biang, découvrir la Source Dorée, chercher de l’or. »
Quelqu’un d’autre rêve à la fameuse vallée de l’Amour…

Intervention des parents :

- « Pas question de vous aventurer hors de la ville ! Nous sommes dans un pays en Guerre ! »
- « Ah, on pourrait peut-être visiter les chutes de Cam Ly ou le lac des Soupirs, beaucoup plus proches… »
- « Le lac des Soupirs? Il parait que les amoureux éconduits y viennent pleurer et se jeter dans cette eau. Y a des fantômes qui y rôdent… »

- « Brrr… «

- « Il fait froid et il va faire nuit. Nous verrons ça demain. »

La famille de l’oncle Dao vient de Nha Trang, ville côtière aux longues plages de sable blanc. Ils logent à l’hôtel dans le centre ville de Dalat.

Avec la famille de l’oncle Dao, nous sommes 11 enfants en tout. Il y a : La grande sœur « Fleur d’abricotier parfumée » en classe de 3e, son grand frère « Bambou royal » en 1ère et leurs 3 jeunes sœurs. Ils sont contents de nous voir. Leur grand frère aîné est déjà étudiant au Canada.

Nous habitons la banlieue de Saigon, la capitale grouillante du Sud Vietnam. Pour nos vacances, nos parents ont fait construire une villa sur un petit terrain en pente, sur la route qui mène vers le hameau Chi Lăng. En contrebas: la vallée en friche, une sorte de mini- jungle, notre terrain d’aventure … Des branchages, des roseaux fléchettes et d’autres matières utiles pour mes frères, guerriers en herbe. Des raccourcis à se frayer pour nos promenades.

Pendant cette période de fête, nous aimons jouer avec les pétards. Nous les allumons, nous nous éloignons en courant et en nous bouchant les oreilles, pour les voir s’éclater en mille pétales couleur rose ou rouge sang…
Ce « jeu » palpitant n’est pas interdit pendant cette trêve du nouvel an lunaire, proposée par les "Việt Cộng" (?).

Mauvaise nouvelle : La radio annonce une offensive générale de l'autre camp. Toutes les villes du Sud Vietnam sont visées.


Du centre ville, la famille de l’oncle Dao vient se réfugier chez nous.

Inquiétude des parents. Joie des enfants : « Quel plaisir d’avoir des amis à domicile ! »
Hélas ! Le couvre- feu est institué ! Plus de parties de badminton au cercle sportif. Plus de sorties en pédalo au lac. Plus de pause- glace au centre ville. Notre aire de jeu se réduit à ce carré de la rue Phan Châu Trinh, parsemé de bégonias et de sauges au pistil sucré.

Dans la villa d’à côté, la voisine en train de couper des feuilles de chou-fleur. Elle récupère tout, même les vieilles feuilles coriaces. Il en faut en grande quantité, pour en faire des légumes en saumure. Son mari restaure l’ARVN, l’armée sud vietnamienne. Quelques soldats montent la garde…

Chez nous, petits et grands essaient de s’occuper :

- L’on chante … : « Citoyens, c’est le moment d’ aller en avant, notre pays attend les pas vaillants de leurs enfants »…(*)
- « Une marche apprise lors de mon service militaire » dit oncle Dao, le médecin- "chef d’orchestre".
- « C’est le moment pour nous tous de reculer », quelqu’un s’amuse-t-il à contredire…

- L’on danse … la Polka Polonaise : « C’est mon spectacle prévu pour la fin de l’année, lorsque je serai de retour au lycée français de Nha Trang » explique grande soeur " Fleur d’abricotier parfumé ».

Nous nous appliquons donc, au milieu des bégonias roses et charnus, des sauges écarlates et sous l’œil taquin du grand frère « Bambou royal »:
« 1-2-3, talon et pointe vers la gauche, et 1-2-3, talon et pointe vers la droite, 3 pas glissés vers la gauche, et 3 pas glissés vers la droite… »

Soudain, pan pan pan pan… Des crépitements. Des pétards ?

Dans la vallée, quelques hommes en noir en train de courir dans nos sentiers secrets. Les soldats d’à côté ont ouvert le feu.

- « Vite, les enfants, vite, à l'intérieur !!» crient les parents.

Nous voici entassés dans une petite chambre, celle qui est la plus en retrait.

« Enfin, un peu d'action pour les enfants, du suspense ! »

(Combien de temps va durer ce jeu ?)

Le petit dernier s'impatiente, et nous aussi, allongés par terre…

« On n'entend plus rien, essayons de regarder par la fenêtre,
Hasardons- nous vers la porte… »

" Bande de petits singes ! Qu’est ce que vous faites ? Rentrez vite à l'abri !!!" crie oncle Dao, le visage tout blême.

L'on entend à plusieurs reprises :

« Vous êtes sommés de vous rendre !!!
Vous serez bien traités en revenant de notre côté !!! »


De la vallée, nous parviennent incessamment des invectives:

« Bandes de valets des impérialistes américains !!! Etc.…. »

Autres coup de feu supplémentaires. Puis, plus rien.
Nos têtes peuvent émerger à travers les vitres de la maison.
Dans la vallée, des corps ensanglantés tirés de leur cachette pour être enterrés.

Nos 2 familles, effrayées, demandent la permission de se réfugier dans l’école militaire de Dalat, "Trường Võ Bị Quốc Gia".

L'offensive a été repoussée dans toutes les villes au bout de plusieurs jours de combat (?).


Après cet "intermède" mouvementé, nous avons pu rejoindre l'aéroport de Liên Khưong, à 30 km de Dalat, et reprendre l' avion d'Air Vietnam pour Saigon. La famille Dao est rentrée à Nha Trang grâce aux hélicoptères de l’armée (?).

Nous sommes retournées à l'école, chacune racontant à ses camarades ce qui s'est passé.
En feuilletant l’hebdomadaire Paris Match du mois de Mai, nous voyons des étudiants en France, en colère contre quelque chose…



**********************
* Moi : ethnies montagnardes, ce terme n’est plus utilisé actuellement.

* La chanson :
:
Đây là lúc quốc dân hùng tiến
Cờ Việt từ nay phất phới ngang trời cao
Vì non sông, máu pha tô sông đào
Hồn muôn anh dũng vết thương nay quyết liền

Bao đời u buồn
Một trời Việt đang kêu khóc...
......
Quốc dân ơi, ta cùng tiến lên đi
Nước non đang chờ gót nam nhi
...




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